Paru en 2017, 25 €

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Le conte ne connait pas de frontières. Ses racines plongent dans la pré-histoire de l’humanité. Il est naturellement à contre-courant.

Les conteuses d’Hopi’Conte ont osé le porter dans un monde où les murs se multiplient, là où généralement les portes se ferment.
Fortes de leurs expériences, réflexions et émotions, elles retracent, dans ce livre, 23 années d’engagement poétique.
En voici quelques extraits :

Extraits du préambule

« Des portes, depuis plus de 20 ans, nous en ouvrons, nous en fermons, en entrant, en sortant de lieux de soin. Pour unique bagage, des histoires plein le cœur, des comptines à chanter, des contes à compter sur les doigts, des devinettes au bout de la langue, des objets magiques dans nos valisettes. Nous vous proposons dans les pages qui suivent, d’entrer dans cette expérience qu’il nous tient à cœur de transmettre. Sept portes : chacune d’elles, écrite en duo, est une façon de dire cette aventure. Ces chemins parcourus sont parsemés de perles, de p’tits cailloux, de détours, de rencontres troublantes et nourrissantes. Chaque porte propose une couleur, une façon particulière d’appréhender la réalité délicate de notre rencontre autour du conte. »


Extraits de la Porte du Corps et de la Voix

On dit parfois que le cœur a ses raisons que la raison ne connait pas. On pourrait dire aussi que le corps a ses raisons que le cœur et la raison ne connaissent pas. Quand on raconte à l’hôpital on est étonné de découvrir que le corps souffrant peut mettre de côté sa souffrance, tellement il est envahi par le plaisir du cœur et de la raison, c’est-à-dire de l’émotion et de la compréhension de l’histoire. Le corps s’est mis au repos, il se détend, ce n’est pas qu’il ne souffre plus, c’est simplement qu’il est en haleine devant quelque chose qui lui fait du bien.

« Yassine a 4 ans. Il a subi une greffe. Il est arrivé d’Algérie avec sa maman pour se faire soigner. Yassine est dans le « flux », en isolement. Là il ne peut être en contact avec des objets de l’extérieur, pas de livres, rien. Comment vais-je faire ? Sa maman me dit qu’il ne parle ni ne comprend le français. Je suis au chevet de son lit, la bouche derrière un masque stérile. La maman m’encourage : «racontez, Yassin aime beaucoup, je lui traduirai après, et puis moi aussi j’aime bien les histoires !». Ils m’écoutent, puis la maman raconte l’histoire que je viens de raconter, celle du loup et des chevreaux, en arabe. Le petit corps de Yassin frémit de plaisir en écoutant sa maman. Moi aussi j’ai adoré la voir raconter. Cette après-midi-là dans la chambre de Yassin mon corps comprenait l’arabe ! »


Extraits de la Porte de la Bénédiction

La beauté, nous la recevons de ces parents, présents jour après jour, nuit après nuit, infatigables accompagnants. Ils donnent tout, tout leur amour, toute leur disponibilité, toute leur énergie…

« Après l’histoire, un papa me dit: «Je ne suis plus le même homme, depuis l’annonce de la maladie de mon fils. C’était instantané, dans la minute, j’ai décidé: je serai avec lui, on combattra ensemble. Plus rien d’autre n’est important. Je vais arrêter de travailler… On verra bien après. C’est incroyable, je suis devenu un autre homme, c’est comme ça, personne ne me ferait changer »


Extraits la de Porte de la Légéreté

Allons-nous légères, raconter dans ces lieux aux murs blancs, aux couloirs sans fin, aux portes blindées? Allons-nous le cœur léger, le pas alerte, les bras chargés de presque rien? Nos mots s’accrochent aux tuyaux transparents, aux draps blancs, aux lèvres sèches de Talhia avide de ‘Il était une fois’. Comment allons-nous avec nos histoires? Le cœur léger, certes, en allant, en ouvrant la porte. Le cœur lourd aussi, de trop de peine, de trop de détresse, de ce peu, si peu de poids de nos pas et de nos mots.

« Morgane a 9 ans. Elle entre dans le service sans préjugé, sans peur. Les premières chimiothérapies font leur ouvrage et un jeudi, quand j’entre dans sa chambre, elle est affairée et entourée d’enveloppes éparpillées sur son lit. «Tu vois ce que je fais ? J’envoie une mèche de cheveux à chaque copine de classe, ils tombent tout seuls pour le moment.» Un grand éclat de rire accompagne son geste »


Extraits de la Porte des Réponses

« Ce jour, aux «Fauteuils Volants» était celui de l’anniversaire de Joli. Malgré toutes les histoires précieusement gardées dans sa tête et dans son coeur, cette fois, Joli a dit : «Moi, des histoires, je n’en connais vraiment qu’une seule et c’est la mienne. Elle a commencé il y a 29 ans». Et il a raconté son histoire. »

« Pour se poser et entrer en contact avec nos petits amateurs d’histoires pleins de vie, à l’école Chanterelle, Claire nous a fait entendre les graines qui roulent entre les deux peaux de son tambourin. «Ecoutez, a-t-elle dit, écoutez». «Ecoutez» devenait chuchotement puis silence de la parole, rien que le bruit lent, tourbillonnant, changeant, de ces petites graines. Bruit de la mer profonde, vagues qui viennent s’étaler sur le sable. Son visage était concentré, attentif, tout son être écoutait et les enfants étaient dans la même attention, ils la suivaient. Puis elle a levé les yeux, a souri aux enfants. «Vous avez entendu ?» Sur les visages des enfants, c’était comme un lever du soleil. C’est la mer… La mer nous raconte des histoires. »


Extraits de la Porte des liens et des saveurs

Un jour, je me suis dit : ouvre la porte et va raconter à l’hôpital. Ouvrir la porte de l’hôpital, c’est avant tout rencontrer l’enfant isolé, coupé de ses repères et de ses habitudes. Ouvrir la porte de l’hôpital pour l’enfant, c’est fermer la porte de la maison, de l’école, c’est ne plus vivre le quotidien avec ceux qu’il aime ! Un projet s’est mis en place et je l’ai suivi. Patricia avait le souhait de raconter à l’hôpital, je n’avais plus qu’à m’associer. Parfois les projets viennent à nous. histoire me plaît, je les reçois en plein coeur. Je peux rentrer dans la chambre, les mains vides, avec plein d’histoires dans la tête, faire vivre mon art, faire une belle rencontre et un beau voyage. Quand je raconte, même une petite anecdote qui est arrivée dans la rue ou chez moi, je suis dans le conte. J’ai toujours aimé cette parole, la parole du récit, parole chargée d’images, d’émotions et de mémoires. Cette parole est vivante, elle nous rapproche, nous rend singuliers et universels. Elle est liberté. Chacun peut l’entendre, la comprendre à sa manière, deviner ce qu’elle dit et la transmettre.


Extraits de la porte de la Mémoire

Pour arriver jusqu’à nous, les histoires ont parfois traversé des océans, des pays déserts, des régions luxuriantes, dans des moments de grand soleil ou d’intempéries. Les enfants à qui nous racontons ont souvent, eux aussi, fait un très long voyage; ils ont enfoui dans leurs souvenirs des paysages traversés, des odeurs oubliées, des chants qui leur ont été fredonnés, des mélodies qui les ont bercés. Et si ces mots murmurés dans la langue d’un pays lointain font partie de la mémoire des jeunes à qui nous racontons, il arrive qu’ils retrouvent subitement leurs racines perdues.

Joie de se retrouver, enfants, professeurs, conteuses, dans cette école pour enfants handicapés. La salle de psychomotricité nous ouvre sa porte, les enfants arrivent, s’asseyent sur des matelas au sol. Pour les accueillir, Cécile joue de l’accordéon; l’instrument va ponctuer les contes mais, surtout, marquer un temps de pause et préparer l’écoute du conte prochain. C’est un conte africain, il nous fait entrer dans une case où une maman chante en berçant son enfant. Cécile chante en sénégalais une berceuse « Mayoum papa ». Nous musons doucement, en berçant dans nos bras un enfant imaginaire. Petit à petit, un grand garçon africain, les bras en corbeille, le regard joyeux, chante avec Cécile… il chante avec un bonheur évident à son bébé, il connait les paroles de cette berceuse. Son professeur nous dit : «C’est incroyable, ce jeune garçon ne parle presque jamais et il a chanté.»


Extraits de la Porte de la Fidélité

À chaque fois que je pars à l’hôpital, je ne peux m’empêcher d’avoir le coeur qui bat la chamade. Je me répète en boucle «Pourvu que je sois à la hauteur de ces enfants en souffrance et de leurs parents plongés dans ce que j’appellerais vivre l’enfer !». Je demande à « mon petit ange » de m’accompagner dans ce désir de bien faire. Une grande respiration et je pousse la porte de la chambre en oncologie.

« Dans le quartier stérile, on ne peut pénétrer que revêtu d’un tablier, masque, chapeau, gants et chaussons stériles. L’infirmière me fait savoir que l’enfant dit non à tout : «pas la peine d’y aller». J’entre malgré tout et je trouve un petit garçon de 9 ans recroquevillé sur son lit. C’est «NON» pour l’histoire. Je reste pourtant et découvre un petit dinosaure à ses côtés. Je m’exclame : «il est beau ton dinosaure». Son visage s’illumine : «j’en ai d’autres !» Il en sort tout un sac. Peu à peu, nous inventons une histoire de dinosaures ! »